Facteurs contribuant à l’aliénation parentale

Facteurs contribuant à l’aliénation parentale

Résumé

L’aliénation parentale est aujourd’hui définie comme le trouble de l’enfant qui s’allie fortement avec un parent et, de façon injustifiée, rejette l’autre parent. Trop longtemps on a maintenu l’idée que la seule source du trouble réside dans la malveillance du parent allié qui « instrumentalise » l’enfant pour atteindre l’autre parent. Bien que dans certains cas ceci puisse être un facteur contribuant, un parent qui exerce des influences aliénantes, n’est que rarement de mauvaise foi. En plus, dans nombre de cas on peut identifier d’autres sources encore plus importantes, par exemple, des caractéristiques psychologiques et même tempéramentales de l’enfant lui-même. D’autres facteurs sont également discutés dans cet article, tels que certaines particularités des interventions judiciaire et clinique qui, plutôt que de résoudre le trouble, risquent de l’intensifier.

Van Gijseghem, H. (2016). Facteurs contribuant à l’aliénation parentale. Revue de Psychoéducation, 45, no 2, 453-468

http://www.revuedepsychoeducation.org/sommaires/sommaire_45.html

Introduction

Les premières définitions du trouble de l’aliénation parentale ont laissé dans l’esprit du public des perceptions malheureusement inexactes. Ainsi, Gardner (1992) attribuait le fait qu’un enfant dénigre indûment l’un de ses parents à une influence directe exercée par son autre parent, sans exclure toutefois certaines caractéristiques de l’enfant lui-même.

On appelait « lavage de cerveau » ou « programmation » de l’enfant cette aliénation, c’est-à-dire ce détournement entrepris délibérément par le parent aimé. Il n’en fallait pas plus pour que le public et même des professionnels perçoivent l’aliénation parentale comme le résultat chez l’enfant de propos ou de comportements malveillants d’un parent à l’égard de l’autre parent. Malheureusement, c’est encore cette conception plutôt caricaturale de l’aliénation parentale qui survit.

De leur côté, des chercheurs se sont rapidement élevés contre cette conception : on ne saurait en effet définir un diagnostic par ce qui cause le problème en jeu, car un diagnostic renvoie plutôt à un trouble manifeste chez un sujet, dont ultérieurement on cherchera les causes. Aussi d’autres définitions sont-elles apparues, mettant exclusivement en lumière les attitudes et agissements de l’enfant lui-même (par exemple : Kelly et Johnston, 2001). Actuellement, la définition qui rallie le plus de professionnels dans le domaine psycho-légal est celle de Bernet (2010). Selon cet auteur, l’aliénation parentale est une condition mentale chez l’enfant qui est caractérisée par deux phénomènes: cet enfant s’allie fortement avec un parent et, de façon injustifiée, rejette l’autre [2]. Cette situation concerne le plus souvent les enfants de parents séparés. Une fois cette condition identifiée, il s’agira d’en chercher les causes pour orienter l’intervention pertinente.

Or, parmi les multiples causes possibles, on pourrait effectivement trouver un parent “malveillant” tel que mis en scène par Gardner. Toutefois, dans les cas d’aliénation parentale impliquant l’influence d’un parent, la malveillance reste une exception. S’il arrive en effet que le parent allié ou bien-aimé exerce sur son enfant une influence aliénante par des moyens plus ou moins subtils, on verra plus loin que, dans la majorité des cas, ce parent est de bonne foi. Cela dit, bien qu’il soit indéniable que le parent allié contribue souvent à l’aliénation parentale, plusieurs autres sources peuvent se révéler tout aussi déterminantes.

Dans une expertise psycho-légale en matière familiale au cours de laquelle un diagnostic d’aliénation parentale apparaît, il est primordial d’identifier toutes les sources de cette condition mentale chez l’enfant impliqué. L’expérience dans ce domaine a mis en lumière plusieurs sources qu’on peut même hiérarchiser selon leur degré d’importance. Autrement dit, pour chaque enfant impliqué, on arrive à une combinaison spécifique d’éléments dont la portée étonne parfois et dont l’ensemble se trouve très éloigné de la croyance populaire, à savoir l’influence exclusive d’un parent malveillant.

Ce qui suit offre une description des sources et autres facteurs favorables les plus fréquents lors d’un diagnostic d’aliénation parentale. Tel que pressenti par Gardner, certains facteurs concernent des particularités de l’enfant lui-même, lesquels sont parfois les plus décisifs. D’autres facteurs seront par la suite décrits: ceux reliés au parent aimé (allié) qui poussent celui-ci souvent, volontairement ou involontairement, à exercer des influences aliénantes. Ceux reliés au parent rejeté (aliéné) doivent certainement être aussi considérées. Plus qu’un simple regard devra également être accordé à deux autres facteurs, inattendus peut-être pour le profane. Il s’agira des particularités du système judiciaire d’une part, et de l’action involontairement contre-productive des cliniciens d’autre part. Ces deux derniers types de facteurs considérés, on réalisera que l’aliénation parentale peut être en partie de nature iatrogène, c’est-à-dire, due au traitement que les systèmes social et judiciaire lui réservent. Dans ce qui suit, nous présentons successivement cinq éléments: l’enfant, le parent allié, le parent rejeté, le système judiciaire, le clinicien.

L’enfant

Le trouble d’aliénation parentale peut être favorisé par un ou plusieurs des facteurs suivants qui renvoient à l’enfant lui-même : le désir de réduire un conflit de loyauté; le désir de réparer le parent “endommagé”; le désir de réunifier le couple parental; des aspects de la personnalité ou du tempérament de l’enfant.

Le désir de réduire le conflit de loyauté

Le désir de réduire un conflit de loyauté constitue probablement le facteur qui favorise le plus fortement le trouble d’aliénation parentale du côté de l’enfant. Après la séparation de ses parents, celui-ci se trouve en effet plus ou moins confronté à un conflit de loyauté : il est pour ainsi dire déchiré par deux élans amoureux apparemment incompatibles. Plus précisément, il croit que manifester son amour à l’un constitue une trahison envers l’autre.

Cette déchirure prend la forme d’un puissant inconfort intérieur comparable à l’angoisse. Or, tout être humain aux prises avec l’angoisse cherche à s’en défaire ou à détruire sa source s’il la connaît. L’enfant dont il est ici question connaît la source de son angoisse: logé auparavant dans un nid géré par deux parents unis, le voilà dorénavant soumis à loger alternativement dans deux nids, l’un géré par sa mère et l’autre, par son père, en raison d’une cassure dans l’amour qui les unissait. Pour solutionner son conflit de loyauté, l’enfant tente tout naturellement d’opérer un clivage: se défaire d’un des deux nids ressentis comme incompatibles pour loger de nouveau dans un nid unique. Ce réaménagement risque toutefois d’entraîner un autre clivage : la création d’un « parent tout bon » et d’un « parent tout mauvais ». Étrangement, une fois ce clivage opéré, l’enfant retrouve son confort, sa paix intérieure et déploie des comportements plus sereins. Son anxiété a disparu, comme s’il avait résolu son conflit de loyauté. Un entourage profane serait tenté d’applaudir : depuis qu’il s’est détourné de l’un de ses parents, l’enfant fonctionne remarquablement mieux. Mais aux yeux d’un observateur averti, cette solution présumée salvatrice conduit plutôt l’enfant de Charybde en Scylla : il a troqué son conflit de loyauté pour un mal beaucoup plus pernicieux : l’aliénation parentale.

Dans la mesure où le parent allié, les observateurs non avertis et même certains intervenants sont rassurés, l’enfant se trouve conforté dans son opération aliénante : le parent rejeté est à coup sûr mauvais pour lui.

Par conséquent, le conflit de loyauté, malgré le profond malaise qu’il entraîne, reste fondamentalement un moindre mal : il indique que l’enfant préserve son amour des deux parents. Tandis que le rejet d’un parent, malgré son apparence salutaire, symbolise une forme de « parentectomie » qui ampute l’enfant d’une source identitaire capitale.

Le désir de réparer le parent endommagé

Après la séparation parentale, l’enfant se trouve sous la garde d’un de ses parents ou, alternativement, des deux. Souvent, il s’inquiète des tourments ou de la tristesse de ses parents. S’il est en garde unique, c’est le parent gardien qu’il a davantage l’occasion de percevoir comme endommagé par la séparation. L’enfant n’aime pas que son parent soit brisé et, pour son propre bien, il voudrait le réparer. Car la cassure survenue dans le nid familial et le côtoiement d’un gardien qui bat de l’aile minent son sentiment de sécurité. La réparation envisagée prendra la forme d’un ravitaillement affectif et narcissique que l’enfant prodiguera au parent qu’il voit souffrir. Il lui exprimera son amour indéfectible pour ne pas dire « exclusif » : par exemple, il fera la moue quand l’autre parent téléphone ou il se montrera réticent sinon malheureux quand approchent le jour et l’heure où il doit rejoindre l’autre parent. Involontairement et toujours dans son propre intérêt, il joue la comédie, probablement d’ailleurs aussi chez l’autre parent: avant son départ le dimanche, il se montrera très triste de devoir partir. Dans son esprit, ses deux parents sont endommagés.

Ce jeu réparateur risque de dramatiser dans l’esprit du parent gardien sa suspicion à l’égard de l’adéquation du parent visité surtout si l’attitude réticente de l’enfant envers ce dernier conforte des appréhensions déjà bien installées : « la résistance de mon enfant à passer ses fins de semaine chez mon ex n’indique-t-elle pas l’inadéquation parentale de celui-ci? » Tout en cherchant à nourrir affectivement son parent gardien, l’enfant alimente surtout ses craintes que l’autre parent soit un mauvais parent.

Le désir de réunifier le couple parental

Quand la séparation conjugale survient, l’enfant se met à espérer la réunification du couple parental, un espoir qui peut perdurer jusque dans l’âge adulte. Il rêve même d’en devenir l’artisan.

Mais ces parents sont en conflit et quelquefois ils ne daigneront même plus se parler, fût-ce au téléphone ou par courriels ou par messages-texte. C’est quand il n’y a plus de paroles échangées entre ses parents, même celles qui exprimaient de l’hostilité, que l’enfant se décourage de voir son rêve de moins en moins réalisable. Il enclenchera alors l’offensive : il fera tout pour que les parents se reparlent, même si c’est par des cris et des hurlements. Par exemple, au retour d’un séjour chez l’autre parent, il racontera que, « encore une fois, il n’y avait pas de lait pour déjeuner » ou « qu’il a encore passé l’après-midi devant la télé ». Même s’il n’est pas conscient du caractère manipulatoire de cette stratégie, il arbore un sourire plein d’espoir quand il voit le parent gardien saisir le téléphone pour enguirlander le parent présumé négligent. De plus en plus convaincu que ce dernier n’est pas à la hauteur, le parent gardien sera d’autant plus soulagé d’accueillir l’alliance privilégiée que l’enfant semble lui proposer. Pour sa part, celui-ci voit son espoir revivre : enfin ses parents se reparlent!

Des caractéristiques de la personnalité et du tempérament de l’enfant

Comme l’indique le sous-titre ci-haut, certaines caractéristiques propres à l’enfant contribuent la plupart du temps à la glissade dans l’aliénation parentale, et ce plus ou moins fortement.

À la suite de la séparation parentale, il arrive que certains membres de la fratrie sont atteints du trouble d’aliénation parentale, tandis que d’autres ne le sont pas. La variable qui distingue les uns des autres n’est pas nécessairement l’âge ni le statut que l’enfant occupait dans la fratrie ou dans l’ensemble familial. Les observateurs s’étonnent d’ailleurs : pourquoi ceux-ci et pas les autres? Or, l’expérience et la recherche ont permis d’isoler dans une certaine mesure des variables qui participent à l’installation du trouble.

Parmi ces variables, on trouve de façon non exclusive: les préférences normales de l’enfant; l’attachement fort ou exagéré; l’anxiété de séparation; la difficulté de s’adapter à des situations nouvelles; les problèmes oppositionnels; le degré de suggestibilité; la capacité de résilience.

Les préférences normales de l’enfant. La grande majorité des enfants vivant dans une famille unie et harmonieuse ont une préférence pour l’un des parents. Bien qu’elle demeure quelque peu mystérieuse, cette préférence peut relever d’affinités naturelles ou d’intérêts partagés. Jadis on croyait que les garçons étaient plus proches de leur mère et les filles, plus proches de leur père. Compte tenu du déclin de la vogue psychanalytique (qui voyait là le résultat du conflit oedipien) au profit des données probantes, il est maintenant admis que ces affinités croisées selon le genre, ne sont pas si évidentes. Les enfants, même à partir de leur première année de vie, s’attachent à leurs parents indépendamment de la variable du sexe (Cyr, 2006). Ce qui est toutefois évident, c’est l’existence d’une préférence chez la majorité des enfants pour l’un des parents, tout comme on rencontre le même phénomène chez les parents à l’égard de l’un ou l’autre de leurs enfants. Or, au moment d’une séparation parentale, la préférence de l’enfant se consolidera tout naturellement et l’autre parent devient plus susceptible d’être rejeté. Malheureusement, on ne tient pas toujours compte de cette variable normale dans les expertises qui comportent un soupçon d’aliénation parentale.

L’attachement exagéré. Les études sur les liens parent-enfant identifient quelquefois un attachement exagéré, la plupart du temps entre une mère et son enfant; on parlera d’une relation fusionnelle ou de symbiose. Selon les théoriciens de la relation objectale, cette dyade mère-enfant ne laisse pas beaucoup de place à l’autre parent; autrement dit l’enfant n’est pas nettement différencié, ce qui peut devenir source de pathologie. Dans un tel cas, la séparation parentale entraîne une intensification de la fusion mère-enfant dans le but de préserver le nid déjà presque exclusivement maternel, ce qui destitue dramatiquement la figure paternelle et parfois avec la solidaire ou anxieuse collaboration de la mère, d’où un scénario particulièrement propice à une aliénation parentale.

L’anxiété de séparation. L’anxiété de séparation est l’une des composantes les plus anciennement reconnues des troubles anxieux chez l’enfant. Elle peut être définie comme une crainte excessive et persistante de quitter soit la maison, soit une figure d’attachement. Sa prévalence se manifeste chez au moins quatre pourcent des enfants. Elle est quelquefois observée dès les premiers mois de la vie de l’enfant, ce qui augmente la probabilité d’une prédisposition génétique ou tempéramentale (DSM-5, 2013).

Un trouble d’anxiété de séparation peut contribuer de plusieurs façons au syndrome d’aliénation parentale. Lorsque survient l’éclatement du couple, l’enfant atteint de ce trouble aura une grande difficulté à quitter la maison pour visiter l’autre parent. Si de surcroît c’est au parent gardien qu’il s’est solidement allié, il aura d’autant plus de mal à quitter le nid. Dans la situation d’une garde alternée ou partagée, les séparations récurrentes lui causeront de profonds malaises.

Si un tel enfant n’est pas adéquatement traité pour l’anxiété de séparation (s’il peut l’être), il est difficile d’envisager une garde partagée. Cet enfant sera fort à risque de manifester des attitudes et de poser des gestes qui l’amèneront à ajouter à son anxiété de séparation un deuxième trouble, celui de l’aliénation parentale.

Des difficultés d’adaptation aux changements ou aux situations nouvelles. Quand elle est observée tôt dans la vie d’un enfant, la difficulté de s’adapter à des changements serait de nature tempéramentale. C’est le cas des enfants qui montrent des réactions excessives devant une nouvelle naissance, un déménagement, l’entrée à la garderie, à la maternelle ou à l’école. Comme la séparation conjugale introduit un changement majeur dans l’existence des enfants concernés, ils manifesteront divers malaises, y compris l’apparition de symptômes ou de comportements inquiétants au fil des va-et-vient d’un foyer à l’autre. Le danger réside dans le fait que de telles réactions soient interprétées par l’un des parents comme la conséquence de l’inadéquation de l’autre parent plutôt que comme un trait du tempérament de l’enfant.

Le trouble oppositionnel avec provocation. Le trouble oppositionnel avec provocation attribué à un enfant ou à un adolescent aurait probablement des sources biologiques, environnementales et génétiques (DSM-5, 2013). Ce trouble est caractérisé par des comportements négativistes, hostiles et provocateurs envers des figures d’autorité, notamment celles des parents. Devant des demandes légitimes de la part de ces derniers, ils feront des colères ou tomberont dans de véritables états de crise. Tout désaccord observé entre leurs parents devient alors facilement l’occasion de les provoquer ou de faire des crises. Autrement dit, ils exploitent les divergences pour mieux régner sur ceux qui ont la mission de les contrôler.

Une séparation conjugale dans ce contexte entraîne évidemment une intensification des comportements provocateurs en raison des soubresauts que subit la cohérence des lois familiales. Cependant, il pourrait bien arriver que ce comportement particulièrement chaotique soit interprété par un parent inquiet comme un désaveu de l’autre parent plutôt que comme un effet du tempérament brûlant de son enfant. Le fait que les deux parents séparés n’appliquent pas les règles familiales de la même manière augmente également le risque que le plus complaisant des deux soit élu comme l’allié par l’enfant et que l’autre devienne la cible de ses comportements d’opposition. Dans une dynamique d’aliénation parentale, le trouble oppositionnel peut sérieusement amplifier les attitudes de rejet du parent non allié.

Le degré de suggestibilité. Depuis les travaux de Gudjonsson (1993), on sait que la suggestibilité chez les enfants suit une courbe de distribution en forme de cloche (courbe de Gauss). Il y a des enfants qui sont très peu suggestibles, d’autres qui le sont beaucoup, tandis que la majorité l’est moyennement. Il est probable qu’une prédisposition génétique en soit la source.

Pour peu que l’un des parents séparés exerce des influences aliénantes, elles auront un effet selon la mesure de la suggestibilité des enfants concernés. Un enfant très suggestible épousera d’emblée les points de vue de ce parent même s’ils sont transmis subtilement.

La résilience. La résilience est un concept introduit dans le cadre des études sur le phénomène de l’attachement. Il est probable que des facteurs génétiques aussi bien que des variables éducationnelles contribuent à son développement. Il s’agit de la capacité que développe ou non un enfant de faire face à des situations stressantes ou à l’adversité. Par exemple, il n’est pas rare que, dans une même famille, certains enfants s’adaptent facilement à la séparation de leurs parents et d’autres, pas du tout. Si l’une ou l’autre des variables précitées ne sont pas en jeu, on est alors en face de différents degrés de résilience. Le problème est que ce concept soit utilisé un peu comme une boîte noire qui explique tout, tout en n’expliquant pas grand-chose.

Le parent allié

Dans la plupart des cas d’aliénation parentale, le parent allié joue un rôle soit initiateur, soit induit par l’enfant. Voici quelques éléments, chez le parent allié, susceptibles de contribuer au développement d’un trouble de l’aliénation parentale: le ressentiment envers l’autre parent; la projection du sentiment de victimisation; la culpabilité; le désir de “réparation”; le biais de confirmation (effet Rosenthal). Quelques remarques seront ajoutées quant au présumé « déséquilibre mental » du parent allié.

Le ressentiment envers l’autre parent

Les ruptures conjugales ne sont pas sans heurt. L’un ou l’autre ou les deux parents peuvent nourrir des sentiments de trahison, d’abandon ou d’hostilité. Leurs enfants perçoivent ces sentiments et y réagissent à leur façon dont, tel que déjà mentionné, l’entreprise d’une réparation du parent endommagé ou encore en épousant le ressentiment du parent allié envers l’autre parent qui, indépendamment des bons moments vécus avec eux, prend les traits d’un ennemi. Mais en deçà de son désir de réparation, il sera souvent contaminé par le ressentiment de son parent et, pour peu qu’il soit suggestible, adoptera un sentiment équivalent. Autrement dit, le parent allié peut, par ses réactions au deuil de la relation conjugale, contribuer à l’installation dans l’esprit de l’enfant d’une dichotomie : un bon parent, de son côté, et un mauvais parent de l’autre, ce qui contribue directement à l’aliénation parentale.

La projection du sentiment de victimisation

Quand le parent allié se perçoit comme délaissé par l’autre parent tant sur le plan affectif, que sexuel ou financier, le danger est grand qu’il projette sur son enfant ce sentiment de victimisation : « ce que l’autre m’a fait vivre, il pourrait bien le faire vivre à notre enfant qui sera finalement malmené comme moi ». Alors qu’auparavant ce parent croyait jouer un rôle de tampon entre l’autre parent et cet enfant, celui-ci se trouverait désormais sans un tel soutien dans l’autre foyer. Dans ce cas, l’enfant est à risque d’absorber la projection de victimisation du parent allié. Tel que celui-ci l’avait prédit, cet enfant peut finir par se dire victime à son tour.

La culpabilité

Malgré la banalisation qu’encourt de nos jours la rupture conjugale, on ne doit pas négliger la culpabilité que soulèvent, entre autres éléments, chez le couple les réactions plus ou moins fortes des enfants qui doivent dorénavant gérer une absence dans le nid familial. Tout comme l’angoisse, la culpabilité est un sentiment difficile à supporter et les parents chercheront à l’éviter d’une manière ou d’une autre dont celle qui consiste à imputer la détresse des enfants à l’autre parent, et ses symptômes, à l’inadéquation de ce dernier. Autant d’arguments qui pourraient fonder une aliénation parentale.

Le désir de réparation

Si le parent allié a le bonheur de tomber enfin sur le “bon partenaire”, il peut imaginer que le nid enfin restauré réparera tous les dégâts causés par la rupture passée. En tout cas, cette situation est propice aux embellies et il se peut que le parent allié surestime les compétences parentales du nouveau partenaire au point de mettre en péril la permanence du lien des enfants avec leur parent biologique. Comme les fins de semaine prêtent particulièrement à l’apprivoisement des uns et des autres, le parent allié, par exemple, pourrait chercher mille et une raisons pour ne pas respecter les ententes et trouver des excuses excellentes pour garder l’enfant dans le nouveau nid, le convaincant qu’il y est tellement mieux qu’en visitant l’autre.

Le biais de confirmation ou “l’Effet Rosenthal”

L’effet Rosenthal est universel; il concerne les idées préconçues sur quelque chose ou quelqu’un qui, graduellement, deviennent des certitudes. L’idée préconçue fonctionne comme une hypothèse. Rosenthal (1976) a démontré que, lorsqu’une personne se crée une hypothèse, deux mouvements involontaires peuvent se produire: cette personne perçoit très bien tous les indices qui vont dans le sens de son hypothèse mais, en revanche, développe une cécité pour tout indice qui la contredit.

Ainsi, un parent qui, de façon justifiée ou non, s’inquiète de ce que son enfant vivra pendant ses visites chez l’autre parent, développe une hyper-vigilance et, fatalement, une attention sélective pour tout indice qui va dans le sens de son inquiétude. Ce parent, à chaque retour de l’enfant de chez l’autre parent, remarque sélectivement tout bleu, toute égratignure, le moindre malaise, les inhibitions ou l’agressivité chez l’enfant, et il les verra comme autant d’indices qui confirment sa crainte. En revanche, il ne prendra aucunement acte de tout ce que l’enfant lui rapporte des bonnes choses vécues chez l’autre parent. Ainsi, retour après retour, ce parent inquiet est de plus en plus convaincu que son hypothèse est exacte et qu’il a grandement raison de s’inquiéter. Son but est et reste la protection de son enfant. Il se sentira donc obligé d’agir en fonction de son hypothèse et, bientôt de sa conviction: l’enfant n’est pas bien chez l’autre parent.

L’effet Rosenthal est probablement le plus puissant contributeur à l’aliénation parentale : ce parent allié, la plupart du temps de bonne foi, finira par exercer des influences aliénantes parce qu’il est maintenant persuadé que, ce faisant, il protège son enfant contre l’inadéquation de l’autre parent.

L’expérience démontre qu’il est extrêmement difficile de faire comprendre ce phénomène à un parent allié et inquiet. Comment peut-il se défaire de son inquiétude et, plus tard, de sa conviction d’un danger qui guette son enfant? Déjà dans les années cinquante, Festinger (1957) attirait l’attention de la communauté scientifique sur un phénomène particulier: l’évitement de la dissonance cognitive. Lorsqu’une personne croit à quelque chose qui lui tient fortement à coeur, le fait de se voir confrontée à l’idée qu’elle n’aurait pas raison, ne lui laisse souvent pas d’autre choix que de s’accrocher encore davantage à sa croyance. Autrement, elle pourrait perdre sa consistance cognitive et identitaire.

Un présumé « déséquilibre mental »

Quelques auteurs (Gardner, 1992; Hayez, 2004) ont émis l’hypothèse que le parent allié, pour glisser dans ces pièges, doit très probablement être aux prises avec une pathologie psychologique ou, du moins, présenter des traits importants s’approchant d’un tel trouble. Ainsi, Gardner croyait qu’un parent histrionique ou paranoïde était particulièrement à risque de devenir parent allié, inquiet et éventuellement aliénant. D’autres n’ont pas trouvé la preuve de ces affirmations dans leurs propres échantillons (Van Gijseghem, 2005) et avancent l’idée qu’une personne tout à fait équilibrée et libre de pathologie peut être victime de mécanismes tels l’Effet Rosenthal et l’évitement de la dissonance cognitive.

Le parent rejeté

Il faut d’abord reconnaître qu’il existe un bon nombre de distanciations parent-enfant que l’on ne peut pas qualifier d’aliénation parentale. Dans ces cas, le parent rejeté au départ n’était pas sans reproche et a pu lui-même contribuer directement à la distanciation. Ou encore, ce parent a pu poser des gestes (ou a omis de poser des gestes) qui ont porté l’enfant à s’en tenir loin. On parle alors de rejet justifié et un diagnostic d’aliénation parentale ne serait pas de mise.

Parler d’aliénation parentale au sens strict indique d’emblée que le parent rejeté a vécu un passé relationnel valable avec l’enfant maintenant marqué par ce trouble, ce qui est généralement validé sur les plans psychométrique, empirique, historique, documentaire, testimonial, etc. En plus, ce parent présente toujours les caractéristiques d’un bon parent. Cependant, bien que ce parent rejeté n’ait pas lui-même contribué significativement au développement de l’aliénation parentale, une fois le processus en mouvement, il pourrait déployer des attitudes ou poser des gestes qui intensifient le syndrome.

La frustration

Quand le parent rejeté, dans le passé, avait eu une bonne relation avec ses enfants et vice versa, il se trouve profondément atteint quand il se rend compte qu’ils s’éloignent graduellement de lui, et il est carrément brisé quand il apprend que ces enfants allèguent des attitudes ou des comportements inappropriés sinon abusifs de sa part. Il se trouve attaqué dans l’une des plus essentielles composantes de son identité, à savoir sa parentalité.

Dans une majorité de cas, le parent rejeté attribue à l’autre parent la cause de cette distanciation remarquablement injuste. À ses yeux, il est impossible que ses enfants avec lesquels il avait une si bonne relation se distancient ainsi de lui de leur propre chef. Voilà donc ce parent, comme le premier, victime de l’effet Rosenthal. Plus il essaie de comprendre ce qui se passe, plus sa première hypothèse se trouve confirmée : l’autre parent (le parent allié) instrumentalise l’enfant pour l’atteindre, lui faire du chantage, le punir.

Il n’est pas rare que ce parent rejeté devienne de plus en plus frustré par le non-respect des ordonnances et qu’il finisse par se pointer à la maison du parent allié pour manifester son désaccord. Suivant le niveau de violence de l’un et l’autre des parents, le scénario peut se conclure dans un poste de police. Le parent frustré est arrêté, accusé de voies de fait, reçoit un interdit de contact et attend son procès au pénal. Voilà les allégations du parent allié confirmées à tort, tandis que le parent rejeté revêt dorénavant le statut de parent criminel et dangereux.

L’accumulation des requêtes

Un parent qu’on a radicalement éloigné de son enfant n’a évidemment plus d’impact sur celui-ci et il ne peut pas davantage démontrer que les choses se passent bien puisque les rencontres n’ont plus lieu. Comme il dispose déjà généralement d’une ordonnance d’accès, il peut s’en prévaloir pour emprunter la voie judiciaire s’il en a les moyens financiers. Souvent, ce parent portera plainte contre l’autre parent pour mépris de Cour ou outrage au tribunal. Mais il devra concurremment agir au civil, donc présenter une nouvelle requête, alléguant cette fois l’aliénation parentale. Avant d’énoncer son verdict, en vertu du principe de précaution, la Cour Supérieure interviendra d’abord sous la forme d’une ordonnance intérimaire. Autrement dit, elle attend l’issue du Pénal, souvent conjuguée à l’issue d’une enquête de la DPJ. Le parent rejeté, de plus en plus outré, multipliera les requêtes de telle sorte que toute cette histoire familiale deviendra de plus en plus « contradictoire ».

Aux yeux de l’enfant et à ceux du parent allié, toutes ces actions entreprises semblent confirmer l’inadéquation et la violence de ce parent « buté » qui n’arrête pas de les traîner devant la Justice, de les harceler, bref de les achever. Le mécontentement est à son comble de part et d’autre, et l’aliénation parentale trouve là un large espace pour se déployer.

Le système judiciaire

Le système judiciaire, paradoxalement, peut contribuer à l’aliénation parentale ou, du moins, à son intensification. En effet plusieurs aspects du fonctionnement judiciaire se révèlent contreproductifs eu égard au problème de l’aliénation parentale, entre autres aspects : la philosophie inévitablement contradictoire; la lenteur; l’implication de juridictions différentes; la circularité du système; l’assignation d’un avocat à l’enfant.

La philosophie contradictoire

Si en soi, le système judiciaire anglo-saxon relève d’une philosophie contradictoire (adversarial), il risque de l’être encore davantage lorsque deux adversaires, les parents séparés, se font face. Il est vrai que, par exemple au Québec, on a investi dans la pratique de la médiation, en obligeant les parents à s’en prévaloir. Les choses sont toutefois ainsi faites que, la plupart du temps, lorsque les parents se rendent à leur première séance de médiation, ils sont déjà tous deux représentés par leur propre avocat qui veille à leurs intérêts respectifs. Cet avocat peut mettre son client en garde contre la médiation comme un lieu où l’ex peut de nouveau prendre l’avantage. Il n’est pas surprenant que la médiation avorte déjà, du moins dans les cas où le litige concernant la garde et les droits d’accès est féroce. On glisse donc rapidement dans un mode purement contradictoire avec une multiplication de procédures, de requêtes et d’affidavits qui, de façon exponentielle, intensifient les courroux respectifs des deux parents. La requête doit être bien fournie et convaincante : les petits revers du passé et du présent seront présentés comme des fautes horribles, impardonnables et prendront l’allure d’abus. Chaque nouvel affidavit intensifie le feu. Là où la table est mise pour une aliénation parentale, un des parents deviendra graduellement l’allié de l’enfant, tandis que l’autre devient le parent à ne pas côtoyer.

La lenteur

L’inévitable lenteur du processus judiciaire n’est pas nécessairement nuisible, par exemple au pénal ou dans le domaine du recours civil. Elle l’est toutefois certainement dans le domaine familial. La raison est qu’elle risque d’augmenter la colère des parents ainsi que le désir d’utiliser d’autres juridictions pour régler le litige familial. Mais surtout, le temps passant, l’enfant vieillit. Il faut garder en tête ici l’observation maintes fois faite que, si l’enfant aux prises avec le trouble de l’aliénation parentale atteint l’âge de la préadolescence ou l’adolescence, la réduction du trouble devient une quasi-impossibilité. Une des raisons est que les ordonnances de la Cour, éventuellement contraignant l’enfant de voir le parent rejeté, deviennent à toutes fins pratiques inopérantes.

Cette conséquence de la lenteur du système satisfait le parent allié qui ne verra pas son enfant côtoyer obligatoirement le parent jugé nuisible. Au contraire, les délais prolongés indignent le parent rejeté qui crie aux stratégies dilatoires.

La lenteur du système est due en partie au principe de précaution qui oblige les juges d’aller d’ordonnance intérimaire en ordonnance intérimaire en raison d’éventuelles implications d’autres juridictions ou en raison de l’attente d’expertises et de contre-expertises. Il n’est pas rare que l’enfant qui avait huit ans au début des procédures en aura douze à la fin. Souvent, le train est alors passé pour ce qui a trait à ses chances de « guérir » du trouble d’aliénation parentale.

L’implication d’autres juridictions

Dans le cas où la garde et les droits d’accès font l’objet d’un profond litige, des juridictions autres que la civile peuvent être saisies du dossier dont, par exemple, le Tribunal de la Jeunesse qui a fonction de protection, et celui du pénal. La plupart du temps, les deux juridictions sont sollicitées en même temps. On peut observer plusieurs scénarii relativement au trouble d’aliénation parentale quand plusieurs juridictions entrent en jeu.

Chez le parent inquiet – l’effet Rosenthal aidant -, l’inquiétude augmente jusqu’à ce qu’il devienne convaincu que l’autre parent pèche par négligence ou s’adonne à des comportements plus ou moins proches de l’abus. Préoccupé de la protection de ses enfants, il fait alors un signalement à la Direction de la Protection de la Jeunesse dont les intervenants s’empressent de suspendre les contacts entre les enfants et le parent soupçonné. Souvent, des semaines (sinon des mois) passent et, tel que déjà mentionné, la chambre de la famille de la Cour Supérieure attendra le verdict de la DPJ en vertu du principe de précaution. Entre-temps, le parent rejeté est accusé de voie de fait à la suite d’une visite impromptue dans le nid adverse, et voilà le Droit pénal sollicité : il faudra donc attendre également le verdict du procureur. Selon le cours des choses, ce verdict pourrait au pire aboutir à une mise en accusation dont pourrait découler une enquête préliminaire puis un procès. Le temps passe et les esprits continuent de s’échauffer. Les plaintes adressées à la DPJ s’accumulent de même que les allégations de violence conjugale, etc. L’audition relative à l’Entente Multisectorielle est enclenchée. Les enfants sont auditionnés. Le parent rejeté ne les voit toujours pas et il pourrait même arriver que le verdict de la DPJ l’écarte tout à fait à titre de parent nuisible et que, d’autre part, il soit condamné pour voies de fait. En revanche, il pourrait tout aussi bien se voir relaxé par toutes les instances, mais sous l’effet de la circularité du système, le mal est fait.

La circularité du système

Tel que mentionné, les juges de la Cour familiale vont souvent d’ordonnance intérimaire en ordonnance intérimaire, entre autres raisons à cause de l’implication d’autres juridictions. Cette situation qui peut durer des années entraîne au moins deux conséquences. D’une part, le parent allié rempli de doutes envers l’ex-conjoint(e) peut voir dans cette prudence que déploie la Justice une confirmation sinon la validation de ses inquiétudes. D’autre part, pendant que tourne la machine judiciaire, l’autre parent s’alarme de voir ainsi sa probité mise en question. Il ne sait plus comment prouver son innocence et se désespère de regagner l’affection de ses enfants. Il risque d’amplifier ses comportements défensifs justiciers, ce qui lui vaut un surcroît de mépris de la part de l’autre parent et des enfants.

L’assignation d’un avocat à l’enfant

La distance intergénérationnelle. Un des effets les plus insidieux du rejet d’un parent qui ne le méritait nullement est que l’enfant concerné se donne ou veut s’octroyer un pouvoir qui ne devrait jamais être le sien. Ce pouvoir comporte plusieurs sources et composantes.

Notons premièrement que cet enfant pense qu’il a lui-même décidé de se distancier du parent non allié. Il se croit le seul artisan de ce qui s’apparentera finalement à un parenticide : en éliminant ce parent du champ relationnel de la famille, il abolit l’indispensable distance intergénérationnelle : « c’est moi, enfant, qui raye ce parent de la carte familiale », pense-t-il.

Il y a toutefois dans cette situation un deuxième mouvement par lequel l’enfant abolit cette même distance intergénérationnelle : il s’allie fortement avec le parent aimé de sorte qu’on assiste très souvent au développement d’une dyade d’une grande complicité : “nous sommes un contre le mauvais parent ”.

À deux égards donc l’enfant réussit à abolir la distance entre les générations : il devient l’égal sinon le supérieur de chacun des parents. Il prend le pouvoir sur ceux qui devraient pourtant garder tout leur pouvoir sur lui. Rappelons toujours qu’il s’agit de deux parents adéquats.

Le maintien de la distance intergénérationnelle est pourtant essentiel au bon développement de l’enfant. C’est dans la mesure où l’enfant apprend à accepter la distance et où il se reconnaît enfant (non-sachant) devant les adultes (sachant) qu’il garde le désir et la motivation de se développer et donc de graduellement “grandir” lui-même. C’est dans cette condition seulement qu’il acceptera de faire les efforts nécessaires pour apprendre les règles et accéder un jour au monde des adultes. Si toutefois la distance intergénérationnelle est abolie, l’enfant sent qu’il a déjà réalisé l’égalité et qu’il peut donc faire l’économie de la longue et difficile démarche vers la maturité. Il n’a donc plus rien à apprendre et il ne doit plus payer tribut à qui que ce soit. De ce fait d’ailleurs, une des conséquences probables de l’aliénation parentale est que cet enfant ne lâchera pas l’illusion d’avoir le dessus sur l’autorité, les règles, la loi et, une fois rendu à l’adolescence, il est à grand risque de développer des troubles de comportement.

L’avocat à l’enfant. Le monde judiciaire risque malheureusement d’augmenter d’un cran le caractère insidieux de cette situation. On a décidé qu’il était productif d’assigner un procureur à l’enfant. Loin de nous l’idée que l’assignation d’un avocat à l’enfant soit contre-indiquée dans certaines situations où l’intérêt de l’enfant est opposé à celui de ses parents. Dans des juridictions protectionelles (Le Tribunal de la Jeunesse), criminelle (Jeunes contrevenants) ou dans les cas d’adoption par exemple, l’avocat à l’enfant défend ses intérêts et fait respecter ses droits. Il y a toutefois lieu de se poser sérieusement la question des effets de cette pratique dans le domaine familial, à la suite d’une séparation parentale et, plus spécifiquement, dans un scénario où les deux parents sont adéquats. Dans un tel scénario, l’assignation de l’avocat à l’enfant contribue très sérieusement à l’abolition de la distance intergénérationnelle et, presqu’à coup sûr, intensifie une aliénation parentale naissante.

En effet, compte tenu de l’illusion déjà installée chez l’enfant d’un pouvoir sur ses parents, il peut en outre se prévaloir maintenant du pouvoir de son avocat. Qu’une frustration lui soit infligée dans la vie courante par une exigence éducative et on l’entendra dire : « Attention! Je vais en parler à mon avocat et on verra bien! »

L’avocat assigné à l’enfant a pour mandat officiel de représenter l’enfant non pas en fonction de ses intérêts ultimes mais d’abord et avant tout en fonction de ses dires et de ses désirs, lesquels se trouvent ipso facto validés par une figure prestigieuse. L’avocat doit écouter les doléances et représenter le bon vouloir de son jeune client, fussent-ils inspirés par l’intention de rejeter un parent en toute complicité avec l’autre parent solidement allié. Comme les avocats ne sont pas des experts en psychologie, ils sont susceptibles de promouvoir le point de vue de l’enfant qui, dans les cas d’aliénation parentale, pourrait bien être pathologique.

L’avocat reçoit son mandat de nul autre que de l’enfant lui-même quand celui-ci en a la capacité. Or un enfant qui exerce l’aliénation parentale n’en est pas moins en pleine possession de ses facultés cognitives; il peut donner à son avocat des instructions solidement articulées et exprimer ses désirs sans qu’on soupçonne la moindre ambivalence. Bref, plusieurs des enfants concernés impressionnent ceux qui les entendent. En effet, ce trouble préserve presque toutes les facultés cognitives de l’enfant mais, là où le bât blesse, c’est qu’il lui enlève son discernement en ce qui a trait aux réels enjeux et dessous de sa prise de position. En fait, les désirs et les propos que son avocat se doit d’écouter et de représenter, sont à la fois clairs et rationnels et pourtant pathologiques et carrément nuisibles quant au bon développement de cet enfant.

Le clinicien

Pour réduire l’aliénation parentale, dans la très grande majorité des cas, on aura besoin d’une intervention judiciaire. Toutefois, quand on observe des signes d’aliénation parentale chez un enfant, les intervenants judiciaires (et autres) ont la tendance à souhaiter qu’une forme ou l’autre d’aide psychosociale soit mise en place. On recommandera généralement que l’enfant bénéficie d’une intervention qui laisse un espace à sa propre parole. On fait la même recommandation au parent inquiet de la sécurité de son enfant et confronté au scepticisme des autorités. Dans de tels cas, qu’attend-on des thérapeutes?

Les outils thérapeutiques privilégiés d’un clinicien demeurent l’établissement d’une alliance de travail commune et l’écoute empathique. Dans le présent cas, le thérapeute peut s’attendre à ce que l’enfant se plaigne amèrement du parent rejeté et fasse état de ses doléances et de ses allégations, tout comme il l’a fait auprès de son avocat. Il lui sera difficile alors de préserver son objectivité parce qu’il n’a aucunement accès à la vérité des choses. Il lui reste donc à recevoir la parole de l’enfant avec empathie, ce qui, hélas, ne fait que valider ses propos, lesquels font état d’une réalité psychologique, différente sinon opposée à la réalité factuelle et historique dont il sera pourtant question au Tribunal. Autrement dit, la narration de son jeune client livre de vrais sentiments à propos de faits sans fondement. L’écoute empathique du clinicien transformera malheureusement les croyances de l’enfant en contrevérités. Plutôt que de guérir, le thérapeute durcit le problème en jeu.

De son côté, le parent allié et dévasté par l’inquiétude pourrait accepter de rencontrer un psychologue dans l’espoir de voir sa souffrance accueillie dans un contexte d’empathie. Là encore, à la faveur de l’alliance thérapeutique établie, le thérapeute risque fort de renforcer les fausses convictions sous-jacentes à cette inquiétude. S’il arrivait au contraire qu’il les mette un tant soit peu en doute pour en vérifier l’objectivité ou pour proposer des hypothèses alternatives, il risquerait de briser l’alliance et de voir le parent claquer la porte.

Le renforcement positif de perceptions et de sentiments erronés, et donc, la validation de fausses accusations est déjà une chose grave. Mais que dire de certains cliniciens, mandatés évidemment par l’avocat du parent allié, qui acceptent de venir déposer en Cour et pire, de se faire nommer “expert” dans la même cause. Devant la Cour, certains de ces professionnels confirment ce qu’ils ont entendus de la bouche de leur client et témoignent de sa souffrance réelle. Il y a là une autre manifestation flagrante de la confusion entre réalité psychologique (ce qu’une personne ressent) et réalité factuelle et historique (ce qui se passe réellement).

C’est ainsi que, dans des cas d’aliénation parentale le clinicien, très souvent, contribue au problème plutôt que d’aider à sa résolution.

Conclusion

L’aliénation parentale est un trouble dont souffre l’enfant; elle est caractérisée par l’alliance que forge cet enfant avec un parent et, simultanément, par le rejet injustifiable de l’autre parent. L’auteur de cet article a souligné dans le passé comment cette notion rencontre la résistance, y inclus parmi certains professionnels (Van Gijseghem, 2005, 2010). Une des controverses demeure la source de ce trouble. Dans cet article, l’auteur présente l’hypothèse de sources et de facteurs multiples. Trop souvent, croit-il, une seule source est identifiée, celle du parent allié qui exercerait des influences aliénantes sur l’enfant pour le détourner de l’autre parent. Ignorer ou occulter les multiples autres sources ou facteurs contribuant, parfois plus déterminants, voue à l’échec les tentatives de solutionner le problème de l’aliénation parentale.

Parties annexes

Notes

  1. [1]Ce texte est le troisième du même auteur sur le sujet de l’Aliénation Parentale à paraître dans la rubrique « Controverses » de la Revue (voir Références). Les trois textes peuvent être en quelque sorte considérés comme un continuum.
  2. [2]C’est donc dire qu’il y a certes des distanciations enfant-parent qui ne peuvent être qualifiées d’aliénation parentale, parce qu’elles sont justifiées, c’est-à-dire motivées par des gestes de la part du parent qui ont incité l’enfant sinon le système protectionnel ou judiciaire à créer cette distance.

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La pédophilie et l’affaire Claude Jutra

Le 20 février 2016, le Dr Hubert Van Gijseghem et autres sont interviewés sur la pédophilie, par Michel Lacombe à l’émission « Faut pas croire tout ce qu’on dit » de la radio de Radio Canada. L’émission dure 60 minutes.

Lien vers le site de l’émission Faut pas croire tout ce qu’on dit à Radio-Canada: http://ici.radio-canada.ca/emissions/faut_pas_croire_tout_ce_qu_on_dit/

Premières allégations de pédophilie dans le cas Claude Jutra

Le 16 février 2016, avant les liens précédents, et avant donc qu’une autre victime se soit déclarée, Catherine Perrin de Médium Large (radio de Radio Canada), interviewe le Dr Hubert Van Gijseghem, expert psycholégal et Michel Dorais, sociologue de la sexualité sur l’affaire Claude Jutra.